mardi 15 février 2011
"Pistolets pour deux, café pour un seul"
Voici le premier d'une petite série d'articles de contexte, qui vous permettront, je l'espère, de rentrer un peu plus dans l'ambiance XIXe d'Achéron et y ajouter un peu de grain à moudre à vos parties.
En premier lieu, jetons un coup d'oeil à une pratique encore fort répandue à l'époque, le duel de gentlemen...
"Monsieur, sur le pré !"
Si les pièces de théâtre de vaudeville et les chansonniers ne cessent de railler le ridicule de la frénésie de duel qui saisit l'Europe entière au tournant du XIXe, on peut se demander pourquoi des hommes de lettres et d'esprit tel que Hugo, Dumas, Ledru Rollins, Gambetta ou Lamartine se sont risqués sur le pré pour des motifs parfois véritablement futiles (certains, comme Pouchkine ou Alexander Hamilton, y trouvèrent même la mort).
Rémanence de l'Ordalie, le jugement de Dieu, le duel prend une signification plus lourde de sens au siècle du Progrès.
Entré dans les mœurs de la bourgeoisie et de l'aristocratie, le duel (à l'épée, au sabre et le plus souvent au pistolet) est le garant de l'honneur et de la parole : on y fait preuve de sa bonne foi en hésitant plus à risquer sa vie pour un mot donné, quel meilleur crédit alors y apporter ? Outre les maris bafoués ridiculisés au théâtre, c'est surtout les auteurs, les militaires, les politiques et les journalistes qui sont les plus "friands" de duel, symbolisant l'engagement complet de leur parole.
Respectant le "Code du Duel" de Chateauvillars, les hommes s'affrontent devant témoins (deux pour l'épée, quatre pour le pistolet et le sabre), après avoir respecté un procès verbal établissant les raisons du duel. L'offensé y choisit les armes et l'on définit les conditions de victoire, souvent au premier sang.
Le code comprend même les détails des handicaps : un manchot doit être affronté avec une main attachée dans le dos...
La justice ferme les yeux sur cette pratique, reconnue comme utile par le peuple lui même et plusieurs projets de loi visant à l'interdire sont ignorés. Les duels attisent les passions du public et la réputation des "tricheurs" est mise à mal : le duel selon Guizot, est une chose "bonne, morale et salutaire" car c'est une justice qui permet d'atteindre les puissants, sans que ceux-ci ne puissent faire jouer leur influence.
Selon Maupassant, il faut "Préférer le duel au pistolet, car il laisse plus de place au sort aveugle", renouant avec la justice divine qu'était sensée représenter le duel.
"Si vous voulez se battre, se battez vous dehors !"
Le succès du duel, notamment en France, en Allemagne, en Angleterre, en Russie et en Italie (moins aux Etats-Unis où l'on tirait pour tuer) pour plusieurs raisons, notamment par le fait que ces pays représentèrent tous, à un moment, une puissante figure romantique.
On s'aperçoit avec le triomphe de Cyrano de Bergerac de Rostand ou des Trois Mousquetaires de Dumas qu'une certaine forme de romantisme imprègne les esprits de l'époque, face à l'industrialisation, le pragmatisme et l'aridité du Progrès. "Soyons des imbéciles, mais soyons le avec honneur". Les foules s'émeuvent de ces héros fantasques qui meurent pour l'honneur du nom de leur compagne, malgré des carrières prometteuses, comme Armand Carrel ou Evariste Galois ("Gardez mon souvenir, puisque le sort ne m'a pas donné assez de vie pour que la patrie sache mon nom").
Le duel est aussi un mode de revanche contre les changements de régimes ou l'envahisseur : certains "demi-solde" de l'armée française défaite provoquaient à Paris, le plus d'officiers étrangers possible, pour laver l'affront fait à leur Patrie blessée.
Enfin, c'est aussi une manière de se hisser au niveau de l'ancienne élite aristocratique, en se posant en chevalier : des journalistes qui demandent l'installation de salle d'arme dans les locaux jusqu'aux féministes qui demandent le droit de se battre, le duel devient le symbole de l'engagement ultime.
Enfin, le duel, c'est la volonté de l'individu contre la culture de la masse, le triomphe du "Je" romantique, face aux masses décrite par les politiques libérales et pragmatiques.
Utiliser le duel dans Achéron
Le duel est une bonne occasion d'ajouter une touche de dramatique à vos scénarios et de remuer un peu vos PJs. Bousculez vos joueurs les plus arrogants et les moins diplomates avec une provocation d'un PNJ excédé par leurs impairs, magnifiez vos PJs en les mettant face à leurs responsabilités dans un court moment de gloire et d'adrénaline : le duel, c'est le symbole du romantisme ! Sans compter que la plupart, à l'époque, ne se terminaient pas forcément par la mort de l'adversaire vaincus.
Un PNJ humilié pourra très bien nourrir un plan de vengeance à l'encontre de leur vainqueur, une histoire ancienne de duel pourra également faire ressurgir de noirs souvenirs : il existe mille et une façon de vous servir de ce petit élément pour donner un peu de richesse à vos scénarios.
Merci à M. Jean-Noël Jeannenet pour son colossal travail sur le sujet.
Un petit exemple de ce que pouvait donner un duel au pistolet (le film date de la fin du XIXe)
Gabriel Veyre - Duel au pistolet
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ca a le mérite d'être... radical!!! Plus romancé, plus long... http://www.youtube.com/watch?v=y3hVuwo0B-U
RépondreSupprimerOn sait enfin à quoi ça ressemblait. On peut en trouver beaucoup dans les romans de l'époque.
RépondreSupprimerVery nicee post
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