dimanche 20 mars 2011
Low lie, the fields of Athenry
En vue du prochain scénario à sortir (Les Larmes de la Banshee), voici un petit supplément de contexte pour les petits curieux désireux de se pencher sur l'un des épisodes les plus tragiques du XIXe siècle, qui servit d'inspiration à de nombreuses histoires irlandaises, mais aussi est surtout à des compositions poétiques et musicales: la Grande Famine (1845-1852), dite aussi The Blight ou An Gorta Mor, en anglais et gaélique dans le texte.
Elle donne un avant goût de la politique menée par l'Angleterre de l'époque sur ses "colonies" et peut directement ou non, servir de base pour un nombre certain de scénarios.
My Son, never trust an englishman...
Il n'est secret pour personne que les relations entre l'Irlande et l'Angleterre ne furent jamais au beau fixe et que la présence britannique sur l'Eire fût toujours contestée, en particulier par une aristocratie irlandaise catholique peu encline à se soumettre aux lois de dirigeants protestants.
En vue de minimiser le pouvoir des nobles locaux, Oliver Cromwell fit passer, à la fin du XVIIe, une série de lois visant à fragmenter les terres et donc les revenus des propriétaires terriens. Parmi toutes une kyrielle de décrets discriminatoires à l'égard des catholiques, le Property act fût le plus perfide, car il contraignait les possesseurs de terres arables à les diviser équitablement entre chacun des fils du propriétaire, en lieu et place de les léguer au fils aîné. Inexorablement, les parcelles rétrécirent avec le temps et beaucoup de grandes familles furent réduites à exploiter des terrains de plus en plus petits.
Rapidement, les exploitations incapables de s'adapter furent rachetées par les landlord anglais et les anciens fermiers se convertir en main d'œuvre à bon marché. Désormais locataires sur leurs propres terres, les paysans irlandais se retrouvèrent dans une précarité de plus en plus latente : les expulsions et les ventes forcées se firent de plus en plus courantes, faute de pouvoir payer les loyers demandés.
Le grain cultivé (essentiellement du blé) et le bétail étaient envoyés en Angleterre pour y être vendu par les landlords, tandis qu'eux même cultivaient la pomme de terre (nécessitant peu d'espace et suffisamment nourrissante). Cet équilibre précaire qui permettait souvent à peine à rembourser le loyer, allait s'effondrer au cours du XIXe siècle, lors de l'arrivée du mildiou, ce parasite venu des Etats-Unis, qui causera la destruction de la quasi-totalité des récoltes de pommes de terre en Europe du Nord.
La grande famine
Outre la politique coercitive des propriétaires anglais, c'est la gestion générale de la crise qui eût une répercussion désastreuse sur l'Irlande et dans une moindre mesure l'Ecosse (plus particulièrement les Highlands).
A l'arrivée du mildiou (vers 1840), plusieurs pays connurent une crise sans précédent : la Prusse, la Belgique et même les Flandres françaises subirent de plein fouet la propagation de l'épidémie et les cas de famines ne furent pas cantonnés à l'Irlande même, mais jamais la population locale ne fût traitée avec aussi peu de considération que dans les zones "coloniales" de la couronne britannique.
Sous la pression des marchands de grains et des armateurs, les ports irlandais restèrent ouverts et l'Angleterre continua ses exportations de nourritures (augmentées, naturellement par la crise du mildiou européenne). Des convois entiers de grains, réservés à la vente, partaient régulièrement vers la capitale britannique, alors que dans les campagnes, la famine gagnait du terrain.
Aveugles à la gravité de la crise, les landlords continuèrent les expulsions et les abus de pouvoir.
Devant la recrudescence du banditisme et des menaces de révoltes, la couronne réagit avec virulence, multipliant les exécutions publiques, les interventions militaires et les condamnations lourdes : la plupart des irlandais convaincus d'avoir tenter de saisir les biens de landlord furent envoyés en grand nombre réaliser des travaux forcés en Australie où beaucoup trouvèrent la mort.
Les convois de nourriture en partance pour le continent était également systématiquement escortés par l'armée.
L'unique alternative laissée par le gouvernement étant contenu dans les "Poors Law" (Lois sur les Indigents de 1838), aucune aide financière ne fût fournie aux victimes, qui devaient se résoudre à travailler dans les sinistres "workhouse", aux conditions de travail désastreuses, contre un repas quotidien. Les workhouse, dépassées par le nombre d'affamés, participèrent à l'émigration de leurs "pauvres" vers des contrées plus clémentes comme les Etats-Unis et le Canada.
Le manque de nourriture et le nombre dramatique de décès entraînèrent la déclaration d'un nombre croissant d'épidémies qui ne purent être traitées à temps ou ne serait ce que maîtrisées : des zones entières furent désertées ou tout simplement décimées par ces accumulations de fléaux. Des bandes de pillards affamés, malades, sillonnaient les routes irlandaises à la recherche de la moindre nourriture, sans avoir plus rien à perdre.
La famine atteignit son point culminant en 1847, lors de fortes chutes de neiges sur les régions les plus sinistrées. Les aides américaines vinrent trop tard pour endiguer la situation, car elles ne servirent qu'à distribuer de la nourriture à bas prix, que la majorité des victimes ne pouvaient même plus s'offrir. L'Angleterre, qui bénéficiait de la plus grande réserve de nourriture d'Europe ne se décida qu'à partir de 1848 à organiser des distributions de "soupes populaires".
Conséquences de la famine
Hormis la recrudescence de la pauvreté et de l'insécurité en Irlande, la Grande Famine causa plus d'un million de morts en Irlande durant les six années "actives" de la crise, laissant une région sinistrée et brisée, consciente d'avoir été "abandonnée" par le pouvoir en place.
C'est donc le renouveau d'un nationalisme irlandais, qui s'était progressivement endormi, qui fera surface, à la sortie de ces temps funestes, prêt à en découdre avec les "envahisseurs" britanniques. Inspirés par les révoltes populaires françaises, notamment celle de 1848, les intellectuels irlandais, partis étudier à Londres ou à Paris, reviendront après le drame et donneront naissance, quelques années plus tard (et après l'échec de la révolte menée par le groupe Young Ireland), au mouvement Fenian (mouvement indépendantiste violent) et à la Irish Republican Brotherhood.
La dernière conséquence, et non des moindres, est la gigantesque diaspora des irlandais fuyant la famine en direction des Amériques (notamment le Canada et les Etats-Unis). Mal reçus par les "natives" et corvéables à merci, leur destin n'aura rien d'enviable, d'autant plus qu'une majorité d'entre eux participeront à la guerre de Sécession qui éclatera quelques années plus tard. Pourtant, une solide communauté irlandaise commencera à prendre racine outre-atlantique et deviendra un soutien économique indispensable aux velléités d'indépendance de l'Irlande.
Le drame de la Grande Famine, s'il est assez peu relaté dans la presse britannique (tout du moins à ses débuts), fait grand bruit en Europe, où l'on s'indigne du comportement anglais. Les irlandais y gagneront une sympathie de la part des autres pays occidentaux et certains intellectuels et politiques s'éprendront de ce nouvel idéal d'indépendance pour lequel ils prendront cause.
Utiliser la Grande Famine dans Achéron
Voilà encore un point d'histoire qu'il est relativement simple d'exploiter pour vos futures parties, en plus, bien évidemment, du scénario qui sera publié après la convention de Caen.
Sur place, le simple climat de famine et d'épidémie se suffit à lui-même pour générer une situation angoissante à souhait : entre les scènes effroyables de malheureux décharnés, errant sur les routes à la recherche de nourriture et les villages fantômes, vidés par la maladie, il y a probablement de quoi provoquer des moments de frisson.
Sans compter que l'explication historique de la famine ne satisfera peut-être pas les Initiés les plus acharnés : malédiction ? Diablerie ? Toutes les hypothèses sont envisageables, à moins qu'il ne s'agisse du crime involontaire d'un landlord avide de terrains bon marché, désireux de vider ses terres de ces encombrants "mangeurs de patates" ou l'accident de parcours d'un scientifique dément ?
Les conséquences peuvent également avoir lieu en d'autre lieux et prendre une teinte moins franche : derrière la série d'attentats qui ont lieu dans les rues de Londres, n'y a t-il pas une raison que les PJs seraient en mesure de découvrir ?
A moins que l'émigration massive de ces gens fuyant des terres sinistrées ne vous donnent plus d'idée : les voyages en bateau n'ont rien de vraiment tranquilles à l'époque et il est plus facile pour un individu louche de se camoufler dans une masse importante de personnes en déroute.
Je vous laisse avec en toile de fond un petit air de musique en rapport, juste pour la frime (vous trouverez les paroles tout seuls, vous êtes grands...)
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